La vitesse est un facteur essentiel du succès des trains, c’est pourquoi l’industrie ferroviaire mondiale poursuit depuis plus de cinquante ans son objectif : gagner en vitesse. Établir un record de vitesse sur rail est un enjeu majeur pourexplorer les limites du matériel roulant et de l’infrastructure en vitesse maximale, valoriser les performances technologiques du matériel et aussi préparer les trains du futur. Si les Japonais sont les champions de la vitesse (603 km/h) avec le Maglev, train à sustentation magnétique, les records mondiaux de vitesse sur rail sont détenus par la France. Le dernier, établi à 574,8 km/h, date de 2007. Ce record est une victoire collective des entreprises de la filière ferroviaire et des quelque trois cents ingénieurs et techniciens mobilisés sur l’opération. Le choix du tracé, l’ajustement du matériel roulant et de l’infrastructure et les nombreux essais ont mobilisé pendant plusieurs mois le savoir-faire de ces équipes.

En 1829, la Rocket (« fusée ») de George et Robert Stephenson (Grande-Bretagne) accomplit l’exploit de rouler sur rail à 20 km/h de moyenne avec des pointes à 48 km/h. Au début du XXe siècle, l’Allemagne dépasse les 200 km/h, mais c’est la France qui, depuis 1952, accumule les records mondiaux de vitesse sur rail. En 1955 déjà, elle obtient le record du monde de vitesse à 331 km/h avec une locomotive électrique. En 1981, une rame TGV atteint les 380 km/hsur une section de la LGV Paris-Sud-Est, en 1990, le TGV franchit la barre des 500 km/h (515,3 km/h) sur une section de la LGV Atlantique et en 2007, une rame TGV d’essai, la vitesse de 574,8 km/h. C’est le dernier record mondial de vitesse sur rail en date. La Chine détient quant à elle le record de vitesse d’exploitation avec le CRH3, de type Velaro (350 km/h). Avec les trains à sustentation magnétique, les Japonais détiennent le record de vitesse de pointe (603 km/h) depuis 2015 avec le Maglev, tandis que les Chinois ont atteint, avec le Transrapid de Shanghai, la vitesse de 501 km/h.

Un record de vitesse se prépare de longue date. Le code de l’opération de 2007 était V150, pour 150 m/s, soit une vitesse de 540 km/h à atteindre. Pour obtenir cette vitesse maximale, une préparation exceptionnelle de la voie et du train a été nécessaire. En 2007, les essais se sont déroulés sur une section de ligne à grande vitesse, avec une rame TGV légèrement modifiée. Ces modifications portaient principalement sur l’augmentation de la puissance des moteurs, une meilleure stabilité des bogies moteur et une augmentation de la tension de la caténaire.

La rame du record a vu le jour au fil des mois de préparation et d’essai : deux motrices Alstom encadrent trois voitures Duplex, avec deux bogies intermédiaires également motorisés. Ces bogies représentent pour Alstom l’occasion de mettre en valeur la motorisation répartie (plusieurs moteurs de traction répartis le long d’une rame) pour la première fois sous un TGV. Pour la voiture centrale, partageant les deux bogies articulés motorisés pour l’occasion, le choix s’est porté sur une remorque « bar » (R4), dont le niveau inférieur a été réaménagé pour recevoir les convertisseurs de puissance alimentant les nouveaux moteurs.
On retrouvait ainsi, dans l’ordre : la motrice de tête (sans captage de courant), la remorque R8 (voiture laboratoire, Agence d’essai ferroviaire en haut et Alstom en bas), la remorque R4 (salon équipé d’écrans vidéo en haut, chaîne de traction AGV au niveau inférieur), la remorque R1 (62 places assises pour le transport des invités, local de réunion) et la motrice arrière (avec captage du courant).

La future rame du record estun peu « haute sur roues », car ces dernières présententun diamètre supérieur à celui des roues neuves « de série » : 1 092 millimètres au lieu de 920 millimètres. Ce choix est lié au fait qu’à vitesse de rotation des moteurs égale, cela permet d’augmenter la vitesse du train.
Les TGV étant équipés d’une ligne de toiture distribuant le courant capté par l’une des motrices sur l’ensemble de la rame, l’emploi d’un seul pantographe a contribué à la réduction de la signature aérodynamique. Des améliorations ont également été apportées à d’autres endroits critiques de la rame : carénage de la toiture et des dessous de caisses, pose de bavettes en caoutchouc aux césures entre les remorques, baisse de la garde au rail sous les motrices… Autant de mesures qui ont permis de « lisser » la rame et de diminuer de 15 % sa résistance à l’avancement dans les plages de vitesse qui seront abordées.

Ainsi équipée, la rame V150 a gagné la LGV Est-européenne en janvier 2007 et entamé ses marches d’essais sur le tronçon entre les kilomètres 264 et 114, dans le sens « Province-Paris », avec un relèvement du dévers de 130 millimètres dans onze courbes, des tensions électrique et mécanique de la caténaire relevées, un blocage des lames mobiles des aiguillages, le meulage de la surface du rail et un grand soin apporté au niveau du ballast afin d’en empêcher l’envol au passage du train en pleine vitesse.
Après de nombreux essais, la rame a été officiellement présentée le 26 mars 2007, sous une nouvelle livrée pelliculée sur ses flancs, ses faces et sa toiture, symbolisant un écoulement aérodynamique.

Le 3 avril, la rame TGVa effectuéson premier tour de roue à 13 h 01, au kilomètre 264 (Meurthe-et Moselle). Lancée à pleine puissance, la V150 a pulvérisé en dix minutes le record de 1990, avant de franchir les aiguillages de la gare Meuse à 530 km/h et d’atteindre la vitesse de 150 m/s. Première mission accomplie.Il restait à atteindre la vitesse volontairement limitée à 570 km/h avec une marge de 5 km/h en plus. Entre 13 h 13 et 13 h 14, la rame a donc roulé au-dessus des 570 km/h autour du kilomètre 193,9. Alimentation coupée, le TGV a ensuite terminé sa course. Pour faire une entrée triomphale à la gare Champagne-Ardenne quelques minutes plus tard : le record est officiellement de 574,8 km/h et Éric Pieczak, le conducteur de la rame, a été le héros du jour. Pendant une vingtaine de jours après ce record, les marches à plus de 500 km/h se sont succédé, permettant de poursuivre l’enregistrement de données inédites qui allaient pouvoir être exploitées pour développer les trains du futur.