2014 | TURQUIE
Toutes les civilisations se sont succédé sur le sol turc,
y laissant des empreintes indélébiles. De la côte
méditerranéenne, enchanteresse, au littoral de la mer
Noire, le pays offre des paysages d’une extrême
diversité. On ne présente plus Istanbul, qui conserve
d’innombrables vestiges de son glorieux passé,
ni Ankara, la capitale, reflet du succès économique
de la Turquie.
Pour parcourir leur immense territoire, les Turcs ont
longtemps préféré le bus et l’avion au train. Depuis
2003, la tendance s’est inversée. Avec la modernisation
de son réseau ferroviaire et, en 2014, la première
liaison à grande vitesse entre Ankara et Istanbul,
le train est devenu un moyen de transport rapide
et confortable. Mais la Turquie compte aller plus loin.
La construction du tunnel du Marmaray sous le
Bosphore, déjà emprunté par le métro, va permettre
de relier l’Europe et l’Asie en train à grande vitesse.
Choisie comme capitale de la Turquie moderne par Atatürk, Ankara est une ville à deux facettes. Une partie ultramoderne hérissée de hautes tours de verre et dotée d’immenses centres commerciaux, et l’autre, ancienne, qui a su préserver ses jolies maisons basses autour de la citadelle byzantine. L’impressionnante esplanade du mausolée érigé en l’honneur d’Atatürk offre une vue panoramique sur Ankara. Centre de gravité de la Turquie, la capitale est devenue, depuis les années 2010, le hub du réseau ferré à grande vitesse. Dans le quartier des ministères, Ankara YHT Gar, inaugurée en 2016, est le plus imposant édifice ferroviaire du pays. Ce gros « paquebot », superbement éclairé la nuit, tout en verre, en béton armé et en courbes d’acier, accueille les trains à grande vitesse sur six voies.
La gare d’Ankara est au centre d’un vaste réseau à grande vitesse en plein développement, qui s’étend peu à peu vers l’est, l’ouest et le sud du pays. Dans ce vaste atrium, les départs et les arrivées sont bien orchestrés et les voyageurs n’accèdent aux quais qu’après un contrôle rigoureux des billets. Ils peuvent aussi profiter du centre commercial bordé de boutiques, de restaurants et de cafés, ainsi que d’un cinéma, d’une mosquée ou d’un hôtel situé au dernier étage. À l’ombre de cet édifice monumental, la gare historique d’Ankara Station a été conservée. Construite en 1937 dans le style Art déco, elle accueille les trains de banlieue et ceux en provenance d’Izmir et d’Istanbul. Dans son enceinte, quatre musées racontent l’histoire de la République et des chemins de fer turcs. On y découvre notamment le wagon dans lequel le fondateur de la Turquie moderne, Atatürk, effectuait ses déplacements à travers le pays dans les années 1930.
Les premières lignes de chemin de fer turques ont été construites sous l’Empire ottoman, en 1856, avec l’appui de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne. Sous l’égide d’Atatürk, le réseau ferré connaît un développement décisif, suivi d’un net ralentissement dans les années 1960. C’est en 2003 que le transport ferroviaire redevient une priorité nationale. Le gouvernement turc affecte alors un budget important à la modernisation des infrastructures existantes et lance un plan grande vitesse. En 2009, la première ligne à grande vitesse est inaugurée entre Ankara et Eskisehir, divisant par deux le temps de trajet entre ces villes. Cinq ans plus tard, en 2014, la section Eskisehir-Pendik, quartier périphérique à l’est d’Istanbul, relie désormais les deux plus grandes villes du pays. Depuis le début de l’année 2019, le dernier tronçon Pendik-Haydarpasa, un temps retardé par des découvertes archéologiques, permet enfin de rejoindre le Bosphore. Dans le même temps, le creusement du tunnel du Marmaray, sous le Bosphore, est réalisé. Il unit définitivement les rives asiatique et européenne d’Istanbul grâce à ses deux voies ferrées, prolongées par trois voies à chaque extrémité en surface. Actuellement emprunté par le métro, ce tunnel, véritable défi technique, permettra prochainement au train à grande vitesse en provenance de l’est de la Turquie de poursuivre sa voie vers l’Europe.
Après avoir quitté la gare d’Ankara, le train file à travers des rangées d’immeubles et de maisons hautes entrecoupées de bosquets d’arbres indisciplinés. La ville fait place à quelques terres soigneusement cultivées, puis au décor typique du plateau anatolien : des steppes arides, des mamelons dénudés, des collines pointues et un horizon découpé de falaises rocheuses. Un arrêt à Polatli peut être l’occasion de se rendre à Gordion, ancienne capitale de la Phrygie, siège du légendaire roi Gordias et de son fils Midas en 8000 avant notre ère. On pourra pénétrer dans un tumulus aux dimensions impressionnantes qui aurait renfermé le tombeau du roi Midas. Aux abords des villes, quelques rangées de peupliers cachent une ferme ou la silhouette élancée d’un fin minaret.
Les « vagues bleues » qui surplombent les quais annoncent la gare d’Eskisehir. Littéralement « ancienne ville », Eskisehir est l’étape la plus intéressante entre Ankara et Istanbul. Agréable, vivante, cette cité universitaire est traversée par la rivière Porsuk, ponctuée de charmants ponts ouvragés sous lesquels voguent quelques gondoles. La cité a conservé, sur un pan de colline, un vieux quartier de magnifiques maisons ottomanes en encorbellement aux tons pastel. Ses spécialités : l’artisanat en « écume de mer » – une pierre spécifique à la région – et une cuisine raffinée. Les alentours se font montagneux et la ligne enchaîne les tunnels ou se faufile entre deux versants. De petites villes ou des maisons dispersées se nichent au pied de hautes collines tapissées de chênes ou d’arbustes. Après Bilecik, un paysage moins accidenté et plus riant encourage les plantations d’arbres fruitiers, de carrés de vigne et de cultures diverses. À droite, un vaste plan d’eau. Déjà la mer ? Non, c’est le lac de Sapanca, destination prisée des Stambouliotes. Sur ses rives, des promenades piétonnes, des terrasses de café, d’agréables maisons blanches aux toits de tuile. Le train s’approche ensuite d’Izmit, dont les immeubles montent à l’assaut des collines, et longe de très près la mer de Marmara, empruntée par de gros cargos. Les petites anses, les promenades plantées, les rives sauvages alternent avec les sites industriels. Puis les premiers quartiers d’Istanbul se dessinent avec Gebze et la gare de Pendik. Ce modeste bâtiment a été le premier terminus de la ligne à grande vitesse avant la fin de la réfection de Haydarpasa, splendide gare qui s’élève au bord du mythique Bosphore.
→ Passage d’un train sur un viaduc à Beylikköprü vers Polatlı, entre Ankara et Eskişehir.
La construction de la ligne Ankara-Istanbul a dû répondre à plusieurs challenges : dans sa deuxième partie, après Bozüyük, trente-neuf tunnels – dont le plus long mesure 3 kilomètres – ponctuent le tracé, pour éviter un relief accidenté. Par ailleurs, la Turquie étant exposée aux aléas sismiques, aux glissements de terrain et aux inondations, toutes les précautions ont été prises pour pallier ces risques : les voies sont équipées de technologies préventives performantes telles que des sismographes qui détectent les signes avant-coureurs des tremblements de terre. Les glissements de terrain ont nécessité des structures particulières « anti-glissantes » et un dispositif de câbles enterrés qui, en cas d’affaissement de la voie, agit sur la signalisation. Pour la sécurité de tous, la ligne Ankara-Istanbul est entourée de murs de clôture au niveau des villes, et à certains endroits, de systèmes de vidéosurveillance. À Ankara, une base de maintenance assure le maintien des infrastructures et un technicentre est en charge de l’entretien du matériel roulant. Douze rames peuvent y stationner en même temps.
Deux continents reliés par un tunnel. Abdülhamid II, dernier sultan de l’Empire ottoman, rêvait déjà de franchir le Bosphore par un tunnel sous-marin. En 1902, il commande une étude mais le projet en reste là, faute de technologies suffisamment performantes. En 1985, la proposition est reprise, et validée par le gouvernement au début des années 2000. Inauguré en 2013, le tunnel du Marmaray est devenu l’épine dorsale du système de transport à Istanbul. Toutes les deux minutes aux heures de pointe, un métro emporte des passagers d’une rive à l’autre. La construction de cet immense tube immergé de 13 kilomètres, dont 1,4 kilomètre creusé sous le Bosphore à 60 mètres de profondeur, est une prouesse technique. Les travaux ont été effectués à peine à 20 kilomètres de la faille anatolienne – connue pour sa fragilité sismique –, dans les fonds sablonneux du Bosphore difficiles à stabiliser. Le tunnel est jalonné de trois stations souterraines : Üsküdar, Sirkeci et Yenikapi. D’importants vestiges archéologiques exhumés ont retardé le chantier, mais quelles découvertes ! Les restes d’un port byzantin du IVe siècle, les épaves de trente-cinq navires datant du Ve au XIIIe siècle, une église du XIIe siècle, un village et sa nécropole néolithique, ainsi que d’innombrables objets : à terme, le musée de Yenikapi livrera cet étonnant patrimoine historique. La suite du projet Marmaray, c’est aussi la liaison prochaine en train à grande vitesse sur une distance de 77 kilomètres, entre Gebze – à l’est d’Istanbul – et Halkali, sur la rive européenne, via le tunnel. Ces voies forment les maillons clés d’une future route de la soie entre la Chine et l’Europe occidentale. Ainsi, dans un avenir plus ou moins proche, Pékin et Londres seront reliés par des lignes à grande vitesse.
Un consortium sino-turc a regroupé des entreprises des deux pays pour concevoir la première ligne à grande vitesse turque. Cette expérience a encouragé d’autres entreprises chinoises à participer à de grands projets d’infrastructures en Turquie, comme la construction de nouvelles lignes reliant l’ouest à l’est du pays et au-delà, sur la route de la soie, notamment entre Kars, Tbilissi et Bakou.
→ Les quais de la gare d’Ankara avant le départ d’un train à grande vitesse pour Eskişehir.
Deux types de rames à grande vitesse empruntent la ligne Ankara-Istanbul : la CAF, fournie avant 2010 par le constructeur espagnol Construcciónes y Auxiliar de Ferrocarriles, et le Velaro, produit par le constructeur allemand Siemens en 2018. Dans les deux cas, pas de motrice mais une cabine pour le conducteur séparée de la voiture business par une vitre opaque. Tous ces trains circulent à la vitesse maximale autorisée de 250 km/h, bien que le Velaro puisse atteindre une vitesse optimale de 350 km/h. On les distingue à leur livrée : blanche, soulignée de bandes rouges et bleues pour la CAF, bleu turquoise pour le Velaro, dont l’aérodynamisme a été optimisé. Ce dernier, plus récent, offre davantage de confort et de soin dans le design intérieur.
Spacieuse, la salle de restauration
est particulièrement chaleureuse avec ses sièges
rouges et son décor imitation bois.
À l’entrée des grandes gares, un portique de sécurité contrôle
les voyageurs. L’embarquement se déroule avec présentation
des billets dûment vérifiés, évitant ainsi tout passage des
contrôleurs dans les trains.
Les agents, femmes en tailleur-pantalon bleu et blanc agrémenté
d’un foulard turquoise, hommes en pantalon, chemise
blanche et cravate, traversent le train pour proposer snacks
et boissons. En première classe, petit déjeuner, sandwichs,
café ou thé sont gratuits et les voyageurs disposent d’un
écran vidéo devant leur siège.
TCDD (Türkiye Cumhuriyeti Devlet Demiryollari), chemins de fer de la République turque, et YHT (Yüksek Hizli Tren), service de transport ferroviaire à grande vitesse, sont les deux sigles apposés sur les rames CAF et Siemens.
→ Le Velaro (TCDD HT 80000), construit par Siemens.
Trait d’union entre deux continents et deux mers, point de rencontre entre deux cultures, Istanbul a de tous temps fasciné les populations pour sa position géographique exceptionnelle. Byzance pour les Grecs, Constantinople pour les Romains, Istanbul sous l’ère ottomane, la ville offre à chaque détour un moment d’histoire et un condensé d’architecture. On y découvre parmi les plus belles mosquées du monde, ainsi que des églises byzantines et des palais somptueux. L’âme d’Istanbul est aussi dans ses ruelles pentues bordées de maisons en bois, dans son bazar bigarré à l’animation fiévreuse. La gare d’Haydarpasa, magnifiquement restaurée, accueille depuis 2019 le terminus du train à grande vitesse en provenance d’Ankara. Posée sur des remblais gagnés sur le fleuve, elle s’élève fièrement au bord du Bosphore, rythmé par un ballet de bateaux et de ferrys qui transportent les voyageurs d’une rive à l’autre. Son allure germanique, ses tours gothiques, sa façade en gros blocs de granit rose lui confèrent une allure unique. À l’intérieur, ses plafonds moulurés, sculptés et peints et ses vitraux sont d’une grande finesse.
Il y a dix ans encore, la voiture était le moyen de transport privilégié par 95 % des Turcs. La restructuration et la modernisation du réseau ferré conventionnel ainsi que l’avènement de la grande vitesse ont modifié progressivement les habitudes des voyageurs pour les trajets interurbains et participé au décongestionnement du trafic des agglomérations. À Istanbul, les banlieusards qui mettaient deux heures en voiture pour entrer et sortir de la ville peuvent la parcourir aujourd’hui en dix minutes. Grâce au tunnel du Marmaray, les connexions entre les deux rives ont grandement soulagé le trafic sur les ponts existants et réduit l’impact du trafic motorisé sur la cité historique.
La ligne à grande vitesse, qui relie les deux plus grandes villes de Turquie, constitue un « couloir économique » dont profitent les villes desservies. Les nouvelles gares les rendent définitivement plus attractives. À Eskisehir par exemple, la municipalité a investi pour proposer à ses visiteurs une offre touristique attractive : musées, sites archéologiques, rues piétonnes, balades sur la rivière, restaurants… Facile d’accès, la ville est l’occasion d’un aller et retour dans la journée au départ d’Istanbul comme d’Ankara.
Le réseau à grande vitesse turc n’en est qu’à ses débuts. En quinze ans, les projets ferroviaires se sont multipliés. 4 500 kilomètres de lignes à grande vitesse vont bientôt être achevés. En 2023, date anniversaire du centenaire de la République, ce chiffre devrait plus que doubler pour atteindre 11 702 kilomètres de lignes à grande vitesse. La ligne Ankara-Sivas va être pro chai nement mise en service, et les 405 kilomètres qui séparent les deux villes seront parcourus en deux heures au lieu des douze heures d’antan. Cette ligne, placée sur la route de la soie, suit un axe commercial majeur pour connecter l’Asie. Elle permettra par la suite de relier Kars à Tbilissi en Géorgie et Bakou en Azerbaïdjan. La ligne Ankara-Izmir (606 kilomètres) est également en cours. Elle reliera la capitale à la troisième ville du pays en trois heures trente. En projet, des lignes à grande vitesse entre Eskisehir et Antalya, Bursa et Bilecik, Konya et Karaman… Tout un programme !
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