2008 | ESPAGNE
Depuis Madrid, le réseau à grande vitesse a, en vingt-six ans, tissé sa toile dans toutes les directions. Vers l’Andalousie au sud, Valence à l’est, la Castille- León au nord, la Galice au nord-ouest, l’Aragon, la Catalogne et la France au nord-est. En 2008, seize ans après l’ouverture de la première ligne Madrid- Séville, les deux plus importantes villes d’Espagne – Barcelone, la dynamique catalane, et Madrid, le coeur administratif et politique – ont été reliées. Cette ligne très touristique, qui traverse la Catalogne entre mer et montagne, et l’Aragon, avec ses églises romanes, ses monastères et ses châteaux arabes, a tout de suite rencontré un franc succès, desservant également des centres économiques importants. Madrid-Séville est devenu le trajet le plus fréquenté du pays. Par ailleurs, l’Espagne poursuit l’extension de son réseau à grande vitesse. Avec 2 590 kilomètres en service actuellement, le pays se place en tête des réseaux ferrés européens par sa longueur.
La capitale catalane a la cote. Chaque année, 32 millions de visiteurs affluent dans la métropole, soit vingt fois sa population ! Paradis des promeneurs, Barcelone se découvre à pied, sur les Ramblas, le long du port, dans les ruelles du Barri Gotic ou dans le parc Güell. C’est la plus belle façon d’admirer ses monuments imprégnés de style moderniste. La ville de Miró, Picasso et Tapies est aussi celle de Gaudí, dont les oeuvres aux formes architecturales fantastiques, toutes en courbes et en couleurs, surgissent çà et là, dominées par la Sagrada Familia. La ville du design audacieux est aussi une inlassable noctambule. Toute l’année, elle s’enivre d’événements culturels et de festivals en tous genres. Et à Barcelone, on va à la plage… en métro !
Au nord-ouest du centre-ville, dans le quartier de Sants, la gare de Barcelone- Sants accueille les AVE (Alta Velocidad Española) en provenance de Madrid, Malaga ou Séville, ainsi que les trains à grande vitesse internationaux arrivant de France. Entièrement souterraine, elle a été rénovée en 2012 et le bâtiment voyageurs a doublé sa surface. La gare s’est enrichie de commerces, de restaurants, d’un office de tourisme et d’un hôtel confortable. Le hall d’accueil, spacieux et lumineux, a des allures d’aéroport, impression renforcée par les systèmes de contrôle précédant l’accès aux quais. Dans un futur proche, une autre gare actuellement en construction, Barcelone-Sagrera, accueillera aussi les trains à grande vitesse. Autrefois dédiée aux trains de marchandises, cette gare souterraine, située dans le quartier de San Martí, est conçue pour accueillir 100 millions de voyageurs par an. Les deux gares sont reliées par un tunnel dédié à la grande vitesse.
Dans les années 1960, l’idée de relier à grande vitesse Madrid et Barcelone est déjà évoquée. Pourtant, la première ligne choisie sera celle connectant Madrid à Séville, l’Exposition universelle de 1992 étant l’occasion rêvée de poursuivre sur la voie de la modernité. Le succès rencontré par l’ouverture de cette première ligne de 470 kilomètres encourage les chemins de fer espagnols à entamer la construction de la ligne Madrid-Barcelone. Une première section est achevée jusqu’à Lleida en 2003, et une deuxième jusqu’à Tarragone, en 2006. Deux ans plus tard, les gares de Barcelone- Sants et de Madrid-Atocha sont reliées en deux heures trente pour les trains directs, et Barcelone obtient une desserte à grande vitesse vers son aéroport, El Prat.
Cette ligne de 652 kilomètres de long marque une nouvelle étape dans l’histoire de la grande vitesse ferroviaire espagnole, car les trains y circulent à la vitesse moyenne de 250 km/h à 300 km/h. En outre, elle est connectée au réseau ferré français avec la ligne à grande vitesse Perpignan-Figueras, qui traverse les Pyrénées par un tunnel de 8 kilomètres de long sous le col du Perthus.
Le train s’éloigne de Barcelone, se faufilant dans l’étroite et sinueuse vallée de Llobregat. Après Martorell, Montserrat apparaît au loin, immanquable, fantastique paroi de roches déchiquetées dont les formes bosselées ont inspiré Gaudí. Elles cachent un sanctuaire vénéré par les pèlerins qui viennent y prier la Vierge noire, sainte patronne de la région. Vilafranca de Penedès s’épanouit au coeur de vignobles qui produisent un vin mousseux, le cava, et de caves réputées. La ligne, soudain attirée par les plages méditerranéennes de sable fin, décrit un bel arc vers Tarragone avant de s’éloigner vers le nord-ouest. L’arrêt à Camp-Tarragone s’impose pour aller visiter l’antique cité romaine, dont les monuments racontent deux mille ans d’histoire, époques romaine et médiévale se mêlant harmonieusement. Après le village fortifié de Montblanc, la ligne, cernée de sierras, emprunte de nombreux tunnels. Elle passe à proximité du monastère Santa Maria de Poblet, l’un des plus grands édifices cisterciens de Catalogne. Une grande plaine agricole annonce Lleida, posée sur les rives du Sègre et dominée par une cathédrale forteresse. Toujours en Aragon, le train file à travers les étendues désolées des Monegros, avant de franchir le rio Ebro et de s’arrêter à l’immense gare de Zaragoza-Delicias, noeud central pour le réseau ferroviaire espagnol. Saragosse, la capitale aragonaise, vaut le détour pour son bel ensemble de monuments gothique, arabe, Renaissance et mudéjar. Pénétrant dans une zone montagneuse, la ligne est à nouveau jalonnée de tunnels. Voici Calatayud, environnée de collines argileuses. On s’y arrête pour aller admirer, quelques kilomètres plus au sud, le monastère de Piedra et plus loin, celui de Santa Maria de Huerta, encore habité par des moines. Le train entre ensuite dans la province de Guadalajara, terre d’oliviers et de grands lacs, et passe non loin de Sigüenza, charmant village étagé sur les flancs d’une colline et veillé par une cathédrale majestueuse. Dernier arrêt à Guadalajara, porte nord-est de Madrid, avant l’entrée dans la capitale espagnole.
→ L’Alcazar de Ségovie en hiver.
Cette ligne s’est avérée très complexe à construire en termes de génie civil notamment, car les problèmes techniques se sont accumulés tout au long des travaux. Sur le tronçon Madrid-Lleida, les trains ont dû se limiter à des vitesses inférieures à 250 km/h en attendant la mise au point du système d’espacement des trains ERTMS, système européen de contrôle. Entre Madrid et Saragosse, 25 % du tracé a été réalisé dans des zones semi-montagneuses, avec un point culminant à 1 206 mètres à Alcolea del Pinar. Autour de Saragosse, la fragilité du sous-sol et le risque d’affaissement ont obligé les ingénieurs à renforcer l’assise des rails. Sur la section Lleida-Barcelone, le choix du tracé a été sujet à controverse. Aller le plus directement à Barcelone raccourcissait le temps de trajet, mais oubliait la ville de Tarragone.
Le prolongement de la ligne vers celle-ci a donc été choisi. Les problèmes géologiques rencontrés ont été nombreux. Des glissements de terrain et des affaissements récurrents ont paralysé à plusieurs reprises l’avancement des travaux. Certains tunnels ont dû être remaniés après leur construction sans perturber le trafic. À Barcelone, un tunnel de 5,7 kilomètres relie les gares de Sants et de Sagrera. Son passage près de la Sagrada Familia de Gaudí, joyau incontournable du patrimoine barcelonais, a entraîné l’opposition de nombreuses personnalités et fait l’objet d’importantes fouilles archéologiques. Elles ont livré des trésors : quinze sites historiques datant des périodes néolithique, ibère et romaine, dont un mur de villa romaine aux mosaïques intactes.
→ Le Velaro S-103 de la Renfe construit par l’entreprise Siemens.
Au fur et à mesure de l’extension du réseau à grande vitesse,
les chemins de fer espagnols ont modernisé leur flotte en
achetant des rames à plusieurs constructeurs, en particulier
Alstom, Siemens, Talgo et CAF. En octobre 2003, Madrid-
Lleida est inaugurée avec des rames série 100 Alstom. Puis le
matériel se diversifie au cours des années, avec le S 102 de
Talgo puis en 2007, le S 103 Velaro de Siemens, qui entre en
service commercial. Il est doté d’une grande capacité en
termes de transport des voyageurs et peut rouler jusqu’à
350 km/h. Sa livrée blanche est soulignée d’un large ruban
rouge rehaussé d’un élégant filet gris. Sa spécificité ? Les
moteurs du Velaro sont répartis tout au long de la rame,
contrairement à d’autres trains à grande vitesse dont les
moteurs sont regroupés dans deux motrices situées aux
extrémités. Ainsi, les huit voitures Velaro accueillent toutes
des places assises, avec de simples cabines de conduite aux
extrémités. Cette augmentation de capacité se justifie pleinement
sur la ligne Madrid-Barcelone, à fort trafic. Les conditions
climatiques de l’Espagne, avec des températures
oscillant entre 43 °C l’été et inférieures à 0 °C en montagne
l’hiver, ont imposé d’importantes modifications du système
électrique et de la climatisation. La Renfe propose dans ces
rames trois classes : Club, Preferente et Turista, avec des
sièges orientables dans le sens de la marche. Depuis 2008, le
Velaro couvre la distance non-stop entre Madrid et Barcelone
à raison d’un train par heure.
En gare, les voyageurs disposent d’espaces spécifiques, le
réseau à grande vitesse étant bien séparé du réseau conventionnel.
L’ambiance ressemble à celle d’une salle d’embarquement
d’un aéroport, avec contrôle des bagages et des
titres de transport avant l’accès aux quais. Les voyageurs
doivent arriver avant la fermeture des portes d’accès aux
quais. L’enregistrement est obligatoire avant de monter à
bord et ferme deux minutes avant le départ.
Sortir de la gare d’Atocha, c’est se plonger avec délice au coeur de la capitale espagnole. À commencer par le Paseo del Prado, qui rassemble les trois musées les plus prestigieux de la ville : Thyssen-Bornemisza, Reina Sofia et le Prado. Ce dernier justifie à lui seul un séjour à Madrid, pour la richesse de ses collections de peinture espagnole portée par les toiles de Zurbarán, Velázquez, Murillo, Goya… mais aussi flamande et italienne. On pourra aller flâner dans les allées du Parc du Buen Retiro, avec ses cafés au bord de l’eau, ses pavillons du XIXe siècle et sa roseraie, ou visiter le musée archéologique national, dont les jardins abritent une reconstitution de la célèbre grotte d’Altamira. Un peu plus au nord, on déambulera dans le quartier chic de Salamanca, royaume du shopping.
La gare d’Atocha est maintenant reliée par un tunnel de 7 kilomètres à celle de Chamartín, qui permettra aux trains à grande vitesse de traverser Madrid en souterrain sans changer l’écartement des rails. En sortant de la gare de Chamartín, on appréciera une tout autre vision de la capitale : celle des plus hautes tours d’Espagne signées Norman Foster ou César Pelli, édifiées entre 2005 et 2009. Un peu plus au sud, on admirera les tours penchées très contemporaines qui servent de décor à la plaza de Castilla.
→ Cuatro Torres Business Area, centre d’affaires à Madrid.
Le succès de l’ouverture de la ligne à grande vitesse entre Barcelone et Madrid sonne comme une revanche du rail sur la route et l’avion. C’est la prise de conscience de la saturation des autoroutes aux abords des deux grandes villes d’Espagne et un geste significatif pour la préservation de l’environnement. Le pont aérien a fortement pâti de la mise en service de l’AVE, malgré la simplification des formalités d’accès à l’embarquement et la guerre des prix sur cette liaison. Car si l’avion est plus rapide, le train, lui, emporte ses voyageurs en plein centre-ville. Reliant les deux rivales, la capitale espagnole et la capitale catalane, cette ligne à grande vitesse est déterminante sur le plan économique pour l’une comme pour l’autre.
60 % des voyageurs font l’aller-retour dans la journée pour affaires, préférant le train à l’avion, car dans le premier ils disposent d’un accès internet et peuvent utiliser leur portable, restant ainsi en communication avec leurs clients durant le temps du voyage. Madrid bénéficie aujourd’hui d’une situation stratégique. Le réseau des lignes à grande vitesse se déployant en étoile au départ de la capitale, toutes les grandes villes sont à moins de trois heures de Madrid. De plus, les deux grands pôles touristiques que sont Madrid et Barcelone sont également reliés à la France par les trains à grande vitesse internationaux, rapprochant les capitales européennes de l’Espagne.
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