1992 | ESPAGNE
Madrid et Séville. Créative, multiculturelle, la première a sa place parmi les grandes capitales européennes. Festive et colorée, la seconde offre un condensé de l’âme andalouse. Située à l’extrême sud-ouest du continent européen, l’Espagne a, en trente ans, engagé une politique de modernisation exemplaire de ses infrastructures. En matière ferroviaire, elle a effectué un choix courageux en décidant de construire sa première ligne à grande vitesse à écartement standard alors que l’ensemble de son réseau moyenne et longue distance était jusque-là à écartement large, et en Cantabrie, à écartement étroit. Le 21 avril 1992, l’inauguration de la ligne Madrid-Séville a coïncidé avec l’ouverture de l’Exposition universelle de Séville. Les deux villes sont aujourd’hui reliées en deux heures vingt.
Après Paris et Londres, Madrid est l’une des villes les plus visitées d’Europe. Du fait de sa position centrale au coeur de la péninsule Ibérique, la capitale a subi de nombreuses influences. Site royal imprégné de la présence des Habsbourg puis des Bourbon, Madrid possède de prestigieux édifices, et ses musées renferment des chefs-d’oeuvre d’une incroyable richesse. Vivante, attrayante, moderne, son mode de vie festif, sa scène culturelle et le rythme effréné de ses soirées sont réputés. Son image de « ville qui ne dort jamais » n’est pas usurpée. La gare d’Atocha, la plus grande gare de la capitale, se transforme quotidiennement en une fourmilière bien organisée grâce à ses multiples entrées et sorties.
L’ancienne halle du XIXe siècle, encadrée de murs de briques et coiffée d’une marquise de verre et d’acier est une attraction à elle seule. On vient ici pour admirer le jardin tropical, une serre monumentale au coeur de la gare d’où jaillissent quatre mille plantes venues des cinq continents. L’arrivée des trains à grande vitesse a favorisé l’a gran dissement et la modernisation d’Atocha, réalisée d’après les plans de l’architecte Rafael Moneo en 1992. La nouvelle construction réunit plusieurs corps de bâtiments accolés à cette halle historique.
Les raisons qui ont conduit le pays à investir de façon radicale dans la création d’un nouveau réseau ferroviaire sont nombreuses.
Les voies vétustes devenaient inadaptées à la croissance économique du pays. Les différences d’écartement des rails
liées à l’histoire maintenaient l’Espagne isolée du reste du continent européen, à l’exception du Portugal. Ainsi, la nécessité de
concurrencer le réseau routier rénové et performant et de se positionner sur la scène internationale, a entraîné un changement
radical de priorité et aussi un pari sur le rail. L’Espagne a saisi l’opportunité exceptionnelle de bénéficier de fonds de développement
régionaux européens (Feder) et a su tirer profit de ces subventions pour se doter d’un réseau moderne à écartement
standard. En tournant le dos aux technologies conventionnelles, l’Espagne a fait un bond en avant et surmonté la faiblesse de
son héritage ferroviaire. Après mûre réflexion, l’Andalousie, axe majeur du tourisme, a été choisie comme première destination
à grande vitesse, au départ de Madrid. Le 21 avril 1992, les trains à grande vitesse – ou AVE (Alta Velocidad Española) – ont été
mis en service entre Madrid et Séville.
Associés aux Français pour l’achat du matériel roulant et à l’Allemagne pour le système de signalisation et d’électrification, les
Espagnols ont peu à peu créé leur propre industrie ferroviaire et développé leurs trains à grande vitesse, capables de rouler sur
des voies à écartement variable, fabriqués par Talgo et CAF.
Une fois sorti de Madrid, le train parcourt les hauts plateaux de la Meseta, une plaine ponctuée de sierras. C’est la région de la Castilla-La Mancha, terre de grands horizons, immortalisée par Don Quichotte, le célèbre héros du roman de Miguel de Cervantes. Dans ces paysages souvent battus par les vents, on guette par la fenêtre les ailes des moulins. Des champs de blé, rougis de coquelicots au printemps, succèdent aux parcelles d’oliviers et aux carrés de vignes. Trente minutes plus tard, l’AVE passe non loin de Tolède la belle, bordée par le Tage. À l’intérieur de ses remparts, églises, mosquées et synagogues dévoilent un concentré multiculturel de l’histoire médiévale de la Castille, qui vaut à la ville son classement au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
Le train s’arrête à Ciudad Real et Puertollano, deux gares construites en même temps que la ligne. En atteignant les premiers contreforts de la sierra Morena, il franchit plusieurs viaducs et s’enfonce dans des tunnels, préservant le parc naturel de la sierra de Cardoña y Montero, où le chêne vert domine aux côtés de l’arbousier, du pin et de l’olivier. L’Andalousie s’annonce avec ses paysages vallonnés plantés de vignes et d’oliviers et ses plaines fertiles arrosées par le Guadalquivir. Cordoue approche, le train longe quelques ruines, que l’on observe distraitement, sans imaginer que ce complexe archéologique, repéré grâce aux travaux de la gare de Cordoue, a révélé des aspects méconnus de l’Antiquité en Espagne. Une halte s’impose dans l’ancienne cité médiévale. Sa célèbre mosquée est l’une des plus extraordinaires constructions de l’architecture musulmane. Lovée au bord d’un méandre du Guadalquivir, la cité se parcourt à pied, au gré de ruelles sinueuses, de patios fleuris et de charmantes placettes. Poursuivant sa course vers Séville, le train file au pied de l’orgueilleuse forteresse d’Almodovar del Rio, qui domine les rives du Guadalquivir. Tout autour s’étend la campiña, la riche campagne cordouane, domaine de l’olivier. Séville annonce déjà la fin du voyage.
Construire de nouvelles voies dédiées à la grande vitesse a nécessité des travaux complexes, notamment au niveau des gares équipées de voies larges, spécifiques à l’Espagne. Pour faire gagner du temps aux voyageurs, les ingénieurs ont dessiné un tracé beaucoup plus direct que celui de la ligne classique, permettant entre autres de desservir des villes autrefois isolées, telles que Ciudad Real et Puertollano. La section entre Brazatortas et Cordoue, longue de 105 kilomètres, a été la plus redoutable à construire. La ligne traverse la sierra Morena occupée en partie par le parc naturel de la sierra de Cardoña y Montero. Le tracé le plus court a aussi intégré des contraintes environnementales. Cette section est composée de quinze tunnels – sur un total de dix-sept ! – et concentre la moitié des viaducs de la ligne. Pour faciliter les déplacements de la faune, 287 passages ont été creusés sous la ligne. D’énormes efforts ont été entrepris pour réaménager les alentours après travaux : reboisements avec des essences locales, traitement des rivières, etc. Lors de la construction de la gare de Cordoue réalisée en souterrain, sont apparus les vestiges d’un complexe archéologique monumental. Le site de Cercedilla a révélé un palais romain, avec un majestueux cryptoportique en forme de demi-cercle et des édifices affectés au service de l’empereur Maximien Hercule.
Pionnière dans l’interopérabilité du système ferroviaire appliqué à la grande vitesse, l’Espagne a résolu le problème de sa compatibilité avec le rail conventionnel grâce à un système d’écartement variable automatiquement mis en oeuvre. Il permet de passer d’une voie large à une voie standard, et réciproquement. Après avoir fait rouler des trains Alstom, puis plus tard des Velaro construits par Siemens, l’Espagne produit ses propres rames à grande vitesse, à roues indépendantes, par l’intermédiaire de Talgo et CAF, entreprises de construction de matériel ferroviaire.
Daté du IIIe siècle, son intérêt historique est remarquable. À Madrid, trois tunnels dénommés « tunnels de la Risa », relient sous la ville les gares d’Atocha et de Chamartin. Deux sont dédiés aux voies larges à écartement ibérique, et le troisième, achevé en 2019, connecte les lignes à grande vitesse nord et sud. La ligne Madrid-Séville a été réalisée en un temps record. Pour faire coïncider la mise en service de la ligne avec l’Exposition universelle de Séville en 1992, il a fallu l’achever en six ans !
Le système ferroviaire espagnol est constitué de deux compagnies publiques indépendantes, Renfe, opérateur ferroviaire espagnol, et Adif, gestionnaire de l’infrastructure espagnole. Chacune possède sa marque et son logo. Tous les trains à grande vitesse qui circulent sur la ligne appartiennent à Renfe, tandis que Adif est propriétaire des gares.
→ Passage du Talgo dans la campagne andalouse.
Le profil aérodynamique des Talgo 102 et 130, assez comparable au Shinkansen japonais, leur vaut le surnom de pato, « canard ». Construits en aluminium, ce qui les rend légers, ils arborent une élégante livrée blanche, grise et fuchsia. Grâce à leur technologie de changement d’écartement automatique des essieux, ils roulent aussi bien sur les lignes à grande vitesse à écartement standard que sur les lignes classiques, à écartement large. Sur la face latérale des motrices apparaît en grand le logo d’AVE, Alta Velocidad Española, la marque du service de transport ferroviaire à grande vitesse en Espagne. Prenant la forme d’un oiseau, ses ailes déployées au-dessus du V, il symbolise la vitesse. À bord des trains en gare, on trouve des espaces pour bébés. Quant aux personnes à mobilité réduite, elles disposent d’un service 24h/24, appelé Atendo.
L’embarquement à bord des trains AVE se fait après un contrôle des bagages aux rayons X. Les passagers sont rassemblés dans une salle d’attente avant d’accéder aux quais. Cette organisation rigoureuse assure une meilleure gestion des flux en gare et une sécurité accrue pour les voyageurs, mais elle ne supporte aucun retard. La ponctualité et la qualité du service à bord distinguent les rames à grande vitesse espagnoles. Dès l’achat de son billet, le voyageur passe un contrat avec l’entreprise ferroviaire. En cas de retard dépassant quinze minutes, le billet est remboursé à 50 %, s’il dépasse trente minutes, à 100 %. Le personnel en uniforme est particulièrement à l’écoute des passagers. Dans les deux classes Turista et Preferente, les sièges sont placés dans le sens de la marche, des écouteurs permettent de suivre des vidéos. En Preferente, un repas est servi à chaque voyageur.
→ Le Talgo parcourant la campagne entre Madrid et Séville.
L’héritage historique et les attraits de la capitale de l’Andalousie se découvrent depuis les rives du Guadalquivir ou, mieux, en se perdant dans ses ruelles. Difficile d’épuiser les richesses de la ville. On déambule entre l’immense cathédrale gothique et le palais de l’Alcazar, entre la Giralda à la silhouette élancée et la Torre del Oro, massive et élégante, dans le charmant vieux quartier juif de Santa Cruz. De grands événements rythment l’année : la semaine sainte précédant Pâques, solennelle et fervente, la feria de Abril, festive et dansante, et les corridas qui se déroulent à la Maestranza. À ces occasions, la gare de Santa Justa, au nord du centre historique, est en effervescence. Les trains à grande vitesse en provenance de Madrid déversent leur flot de visiteurs. Le hall de cette gare terminus s’emplit de visiteurs, femmes en noir portant la mantille ou jeunes filles en robes à volants colorés. Hormis ces périodes de fête, synonymes de haute fréquentation, la gare, impressionnante par ses dimensions, est beaucoup plus tranquille.
Son inauguration a coïncidé avec l’ouverture de la ligne Madrid-Séville et l’Exposition universelle de 1992. Tout un jeu d’escalators, de rampes et de passerelles fluidifie les arrivées et les départs, et les trains sont abrités sous une élégante marquise ondulante. Quant au grand hall qui accueille boutiques, snacks et restaurants, il attire des événements de toutes sortes.
→ La Plaza de España à Séville.
La ligne Madrid-Séville a changé les habitudes de voyage des citoyens : la majeure partie du trafic aérien s’est reportée sur l’AVE. 60 % des voyageurs prennent le train entre Madrid et Séville pour affaires, 20 % pour les loisirs, 20 % pour des raisons familiales. Depuis 1992, la ligne a considérablement augmenté la mobilité des Espagnols, grâce aux connexions entre lignes à grande vitesse et lignes classiques vers Malaga (par Cordoue), Cadix et Huelva. Elle a aussi dynamisé les villes de taille moyenne telles que Ciudad Real et Puertollano, qui sont désormais dotées d’une gare. Située à une heure de Madrid, Ciudad Real connaît un nouvel essor en drainant 26 % du trafic voyageur. Dans ces deux villes, les établissements hôteliers et les activités économiques se sont développés, et autour des gares nouvellement construites se dressent de nombreux ensembles résidentiels.
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